C’est arrivé progressivement, mais nous avons subrepticement glissé vers toujours plus d’individualisme tout en étant convaincus que faire nation consistait seulement à fêter les soirs de victoires sportives ou à commémorer des attentats.

« L’archipel français », publié en mars 2019 par Jérome Fourquet décrit parfaitement à l’aide de statistiques et sondages divers cette France contemporaine plus que jamais archipélisée où le référentiel commun semble totalement destructuré au profits d’une fragmentation de groupes de communautés aux intérêts tout aussi divers les uns que les autres.

Désormais, chacun préfère revendiquer son identité quitte à laisser de côté ce qu’il peut avoir de commun avec son semblable. L’individu prime le citoyen et de ce fait prend le pas sur le collectif, la nation et l’identité nationale.

Les revendications sont essentiellement catégorielles, fracturant constamment les français en clans adverses qui s’organisent selon les lignes de démarcations du moment. Les débats ne portent plus sur ce que tu penses mais sur qui tu es, ce que tu consommes, sur ce que tu aimes etc.

De l’extrême gauche à l’extrême droite, certains politiques font même une marque de fabrique de la division à coups de radicalité sans jamais toutefois s’inscrire dans un esprit de responsabilité que leur confère pourtant leur mandat ou leur fonction politique ou l’importance du moment comme celui que nous vivons tenaillés entre crise énergétique, affaissement de la démocratie ou urgence à agir pour le climat. Leur seule boussole est électoraliste.

La presse et les médias ne sont pas exempts de critiques par leur contribution à l’affaissement progressif du débat public. Ces mots de Camus sont toujours d’actualité.

« Loin de refléter l’état d’esprit du public, la plus grande partie de la presse française ne reflète que l’état d’esprit de ceux qui la font. À une ou deux exceptions près, le ricanement, la gouaille et le scandale forment le fond de notre presse. À la place de nos directeurs de journaux, je ne m’en féliciterais pas : tout ce qui dégrade en effet la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques, décorés du nom d’artistes, court à l’esclavage malgré les protestations de ceux-là mêmes qui contribuent à sa dégradation. Notre honneur dépend de l’énergie avec laquelle nous refuserons la compromission. » Albert Camus. Entretien pour la revue « Caliban », 1951

Les caricatures, amalgames et fake news vont bon train mais ne sont que les vecteurs d’affrontements entre individus ou groupes d’individus.

Pour certains, les allocataires aux aides sociales ne seraient que des fainéants profiteurs vivants aux crochets de l’état et pour d’autres, ceux qui entreprennent, réussissent et ont de bons revenus ne seraient que des nantis, parvenus et égoïstes qui voudraient se défiler face à la solidarité.

Pour certains, il y aurait les vilains prolos prenant un malin plaisir à répandre leur particules fines au volant de leur SUV diesel, et pour d’autres les bobos écolos fanatisés et cyclo tractés.

De tels exemples qui consistent à ranger dans des cases les individus et à nourrir les caricatures il y en a à la pelle.

Le monde, l’être humain est plus complexe que cela et notre nation, notre démocratie ainsi que notre République et donc notre cohésion nationale n’ont rien à y gagner dans ces guerres de chapelles.

Nous avions, en France, développé et entretenu le vivre ensemble disait on. L’art de vivre à la française et la convivialité s’exprimaient au bistrot, à table (et même autours d’un barbecue n’en déplaisent à certaines et certains s’érigeant en police des mœurs). Mais, en plus d’avoir oublié la convivialité, nous avons oublié la civilité et de ce fait la citoyenneté.

Chacun considère trop la République comme un espace de liberté, de droits acquis ou à conquérir, et même de blasphème et de caricature mais, sans toutefois se soucier des devoirs attachés dont le premier qui est la citoyenneté. Citoyenneté qui en réalité est autant un droit qu’un devoir. Mais si ce devoir est négligé, c’est la notion même de République qui est vidée de son sens.

Le Peuple français est réputé pour ses controverses. Mais, nous sommes entrés dans une époque ou nous préférons disqualifier son interlocuteur quitte à le mépriser plutôt que de débattre sur le fond. Tout cela est mortifère car ce qui pouvait nous unir dans la différence ne fait qu’en réalité nous éloigner. Mortifère pour nous même en tant qu’individus et communauté mais aussi mortifère pour notre Nation.

Car comment faire nation lorsque les valeurs qui l’ont fondée ne sont pas partagées ?

Aristote disait « La nature a horreur du vide ». Il en est de même pour la République. Ses ennemis progressent toujours lorsque cette dernière laisse la place vide. Il est ainsi de la laïcité qui recule et laisse place aux fondamentalismes, de la liberté lorsque faute de moyens la délinquance progresse etc.

Il convient de se réinterroger en permanence sur les valeurs qui fondent notre république.

La première d’entre elle, la liberté, est souvent confondue avec laxisme et incivilité. La Liberté n’est pas autre chose que la possibilité « de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui». La liberté c’est un droit mais aussi un devoir vers autrui, son semblable.

L’égalité ensuite, n’a pas pour objectif de nous rendre tous égaux, identiques. C’est l’égalité de tous les citoyens face à la loi, face à leurs obligations, face à leurs droits et face à leurs devoirs.

La fraternité, qui n’est pas la moins importance des 3 valeurs qui fondent notre tryptique national n’est pas un droit, mais une obligation morale. Elle n’est pas légiférée contrairement à la liberté ou à l’égalité mais pourtant doit s’imposer par l’obligation que nous nous donnons. Celle de vivre en humanité avec son semblable. Etre fraternel avec son semblable dépasse la solidarité dans le sens où cette dernière a pour objectif de réduire les inégalités alors que la fraternité revêt en plus une dimension universelle.

La fraternité n’est pas une faiblesse ou une marque de naïveté. C’est tout le contraire car ce qui fait de nous des humains et le socle de nos idéaux républicains.

Enfin, la valeur essentielle, indissociable de la république, et pourtant non inscrite sur les frontons des édifices publics, est la laïcité.

La laïcité permet à chacun de croire ou de ne pas croire dans le respect de l’autre. Chaque citoyen doit admettre qu’en France, la loi de la République s’impose à celle de Dieu. L’actualité témoigne malheureusement du fait que l’Etat a failli aussi dans ce domaine depuis des décennies. Par laxisme, intérêt électoraliste, cupidité ou naïveté, nos politiques ont bien trop souvent réalisés des accommodements avec la laïcité. La laïcité doit réinvestir prioritairement le champ de l’éducation et de la citoyenneté.

Aucun n’accommodement ne peut être possible avec les valeurs de la république. Chaque centimètre de reculade et un centimètre à jamais perdu. Sans autorité ni volonté politique prononcée, la liberté se transforme en laxisme ou désinvolture, l’égalité en injustice, la fraternité en égoïsme et la laïcité est engloutie par le communautarisme.

Ces valeurs n’allant pas d’elles mêmes, ce n’est pas sans pilier qu’elles pourront être réaffirmées. Les deux principaux étant la famille et l’école. Leur point commun : l’autorité (non autoritariste mais légitime et bienveillante).

Retroussons nos manches, soyons à la fois les parents et les enseignants pour défendre et transmettre les valeurs de la république.