
Je lis deçà delà de nombreuses tribunes ou articles qui, en vue du second tour de l’élection présidentielle, mettent en garde contre l’accession au pouvoir de le Pen au seul motif que le FN (pardon .. le RN) c’est l’extrême droite. C’est vrai, c’est bien, c’est nécessaire, mais pas suffisant.
Pas suffisant, car depuis que Marine le Pen a entrepris un ripolinage de son parti et a quasiment abandonné les éléments de langage de l’extrême droite dure dont a usé et abusé son père par le passé, elle passerait presque pour la droite sociale en 2022 aux yeux de bon nombre d’électeurs. L’argument consistant à qualifier le FN (pardon .. le RN) parti d’extrême droite, donc nationaliste, ne suffit donc plus, même si cela est vrai, faits à l’appui.
Il suffit de se replonger dans l’histoire, pour savoir que le FN (pardon … le RN) est un parti d’extrême droite. On le sait depuis les années 80 et voire même depuis sa création en 1972, dans le prolongement d’Ordre Nouveau. Les statuts ont même été déposés en Préfecture par Pierre Bousquet ancien Wafen SS. Rien que ce bout d’histoire sur la création du FN en dit long, enfin pour celles et ceux qui veulent bien faire un effort de mémoire.
Mais l’avoir dit et l’avoir répété ne semble plus pour autant un motif suffisant pour décrédibiliser ce parti au regard des résultats électoraux du FN (pardon .. du RN). Encore faut il aller plus loin, plus sur le fond, dans la description des conséquences économiques et sociales que son accession à la magistrature suprême auraient.
Il faut que celles et ceux qui pensent glisser un bulletin Le Pen le 24 avril prochain aient conscience de ce que cela impliquerait pour les plus fragiles de nos concitoyens. Car ce sont toujours les plus pauvres et les plus fragiles qui ont à craindre du populisme.
Jean Luc Melenchon et Marine Le Pen, pour ne citer qu’eux, ont en commun de prétendre agir au nom du peuple (un peuple au contours flous) et veulent ancrer une confrontation entre ce peuple et les élites. Ils prônent aussi un Etat fort, libéré de toute contrainte de marché, indifférent à la mondialisation et enjeambant allègrement les contraintes juridiques. Enfin, pour le populiste, la contrainte économique est un non sujet, le financement des propositions un flou artistique savament entretenu. L’histoire a toujours néanmoins démontré que l’avènement au pouvoir des populistes provoquent au moins trois conséquences négatives sur un état : récession, augmentation des inégalités et fragilisation des institutions.
Le débat de l’entre deux tour a eu au moins le mérite de mettre en lumière le caractère abracadabrantesque du programme de Marine Le Pen ainsi que ses contradictions. Elle n’est en rien la candidate du peuple car son programme n’est qu’affaiblissement de la France et fragilisation sociale.

La première évidence est que le programme de Marine Le Pen est un danger pour la démocratie.
La candidate du RN l’a annoncé publiquement, elle commencerait par organiser un référendum sur la préférence nationale. Elle sait pertinemment qu’elle n’aura pas la majorité à l’assemblée nationale, alors le seul moyen de parvenir à ses fins est de contourner les institutions. L’article 11 de la constitution permet au Président de la République d’organiser ce référendum. L’article 89 lui ne s’applique qu’aux référendums destinés à réviser la constitution. Dans le cas de l’article 11, c’est décision du Président sur proposition du gouvernement, il n’y a donc pas nécessité de passer par l’Assemblée ou le Sénat.
On ne peut évidement pas reprocher à Marine Le Pen de rappeler qu’en démocratie c’est le peuple qui décide. En revanche, le référendum cache de nombreux pièges, sans rappeler que nos institutions sont ainsi faites pour qu’au travers de la démocratie représentative, les citoyens puissent peser sur les décisions. Avec le référendum, la tentation est grande de détourner l’objet même du référendum pour in fine en faire un référendum contre le pouvoir en place. L’exemple du Brexit est par ailleurs assez éloquent. Une campagne menée en jouant sur les peurs (immigration) sur un fond de souverainisme a fini de convaincre une majorité d’anglais de voter contre leurs intérêts ainsi que le démontrent les conséquences actuelles de ce choix, affectant de nombreux secteurs de l’économie britannique. Le peuple est il par ailleurs expert dans tous les domaines ? Rien n’est moins certain.
La deuxième évidence, est que le programme de Marine le Pen est tout sauf social.
Marine Le Pen veut paraître la « Jeanne d’Arc des sans dents », le pouvoir d’achat est devenu son oriflamme et sa devise. Ne nous y trompons pas. En la matière, comme sur d’autres sujets, son programme n’est qu’un amoncellement de mesures non financées dont l’application ferait l’effet inverse, alourdissant les comptes publics, creusant encore plus les inégalités et à terme, faute de confiance sur les marchés financiers, provoquerait une inflation sans précédent.
La candidate d’extrême droite a renoncé à sa proposition de retraite à 60 ans. Elle défend désormais un système « progressif » d’âge de départ selon l’âge d’entrée dans la vie active. Pour un salarié ayant commencé sa carrière à 25 ans, le départ en retraite sera en réalité effectif à 67 ans ! Par ailleurs, nulle mention de la remise à plat des régimes spéciaux et nulle mention de l’égalité de traitement femme / homme, marqueurs d’un système inégalitaire. Aucun mot sur le dialogue social avec les syndicats de manière à paramétrer au mieux cette réforme et son acceptabilité. Enfin, abaisser l’âge de départ à la retraite sans tenir compte du ratio actifs / inactifs c’est au final fragiliser le financement de la sécurité sociale.
Toujours sur le pouvoir d’achat, Marine Le Pen propose de réduire la TVA. Mesure d’une efficacité redoutable en terme de communication car chacun est capable de calculer rapidement le gain théorique que cela pourrait lui rapporter. Néanmoins, cette mesure n’améliorera pas le pouvoir d’achat, mais bénéficiera au contraire avant tout à la grande distribution. Souvenez-vous de la baisse de la TVA dans la restauration. Les prix seront maintenus par la grande distribution, et les marges seront pour eux.
Son programme propose par ailleurs l’exonération de la part patronale des cotisations sociales jusqu’à trois SMIC, ce qui signifie que pour plus de 80 % des salariés, les entreprises ne paieront plus de charges sociales. Qui financera alors l’hôpital, la retraite, les allocations familiales, le remboursement des médicaments etc etc ?
Sur la question du logement, le programme de Marine Le Pen propose de ralentir la construction de logements sociaux abordables pour les familles françaises, de supprimer l’obligation faite aux communes de disposer de 25 % de logements sociaux (loi SRU) et de supprimer l’interdiction, inscrite dans la loi et applicable en 2023, de louer des logements mal isolés et passoires thermiques. Cela signifie que les familles françaises qui habitent dans des logements sociaux de mauvaise qualité ne pourront espérer pouvoir bénéficier d’un logement neuf ou rénové.
Je n’évoque même pas la priorité aux français lors des demandes de logements sociaux. Cela s’appelle de la préférence nationale ou aussi de la discrimination. Ce qui est parfaitement inconstitutionnel et contraire au principe d’égalité et de fraternité.
Enfin, pour parachever le tout, le programme de Marine Le Pen c’est la démonstration à terme d’une nation clivée, rejetant une partie de nos concitoyens. Comment ne pas voir cette conséquence lorsque cette dernière se déclare favorable à l’interdiction du voile dans l’espace public ? La France, pays des Lumières, qui grâce à la laïcité offre la liberté à chacun de croire ou de ne pas croire, serait ainsi le seul pays au monde à stigmatiser une partie de nos concitoyens (en l’occurrence de confession musulmane) en raison de leur religion ?
La liste des contradictions du programme de Marine Le Pen et des conséquences négatives pour nos concitoyens serait encore longue. Ceci, sans même mentionner et rappeler les votes des euros députés et députes du FN (pardon .. RN) à Bruxelles ou Paris en totale contradiction avec les positions de Marine Le Pen lors du débat d’entre deux tours.
Ce scrutin a illustré et quantifié ce que nous savons déjà : désormais deux blocs irréconciliables s’opposent en France. Le mandat qui s’achève, même amputé de 2 années de pandémie, a permis d’entrevoir les débuts de mesures concrètes qui vont dans le sens d’une réduction de cette fracture sociale. Le prochain Président devra plus que jamais démontrer sa capacité à nous garder unis en continuant à s’adresser à tous les français. Difficile équation qu’une populiste ne saurait résoudre.
Je ne cherche pas à convaincre celles et ceux qui n’ont pas voté Macron au premier tour de voter pour Macron au second, sur adhésion à son programme. C’est peine perdue car à l’issue du premier tour, si vous n’avez pas voté Macron c’est que vous êtes insatisfaits, c’est un choix que naturellement je respecte. Je cherche plutôt modestement à les convaincre de voter contre Marine Le Pen sans s’abstenir, ni voter blanc (ni se contenter de répéter même quatre fois « pas une voix pour Marine Le Pen ») en choisissant le bulletin Macron.
La France ne peut pas en effet se permettre qu’amateurisme, clivage de la société, creusement des inégalités et autoritarisme – en un mot le populisme – prennent le pouvoir le 24 avril.
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». Albert Camus, discours de réception du prix Nobel de littérature Stockholm le 10 décembre 1957.
De manière involontaire je me rend compte que je publie ce billet un 21 avril ….