Comprendre le budget d’une ville c’est comprendre sa politique.

Si à la fin de cet article vous avez compris comment fonctionne et de quels éléments est composé le budget de la ville de Montreuil, et bien l’objectif sera atteint. Tout cela, bien loin des postures partisanes qui n’ont finalement que peu d’intérêt devant l’importance que revêt le sujet des finances pour une commune.

Lors du dernier conseil municipal, l’équipe en responsabilité a présenté les orientations relatives au budget 2022 et justifié l’état des finances de la ville de Montreuil en faisant porter la responsabilité aux politiques gouvernementales (comme si tous les maux de Montreuil avaient pour cause le gouvernement actuel).

Plus sérieusement, dépassons quelques instants les discours partisans et les postures pour comprendre comment est composé le budget de la ville de Montreuil, ses marges de manoeuvre et quelles sont les orientations budgétaires envisagées pour 2022.

Un équilibre fragile entre recettes et dépenses

Après les 23 premières pages sur 48 que compte le ROB Rapport sur les Orientations Budgétaires (annexes comprises ..) consacrées à une analyse de l’économie nationale et internationale digne des plus grands cabinets de prospectives et analyses économiques, et (surtout) une tentative de justification des difficultés de Montreuil liées aux politiques gouvernementales (ah oui pardon, cela, nous l’avons déjà dit…), nous arrivons enfin aux données financières pour l’année 2021 (à la réserve près que l’exercice n’est pas encore clôturé d’un point de vue comptable, ce qui est normal à stade) :

Recettes de fonctionnement

222 millions d’euros pour 2021

  • Fiscalité locale 101 M€ dont 77 millions grâce à la TFB (taxe Foncière sur le Bâti).
  • Autres produits fiscaux 12 M€
  • Dotations et subventions 30 M€
  • AC MGP 58 M€ (Attribution de Compensation de la Métropole du Grand Paris)
  • Produit de services 16 M€
  • Autres recettes 5 M€

Les recettes sont en augmentation depuis 2016 mais seulement de 1,6% par an. Cette augmentation est uniquement conjoncturelle. Ce constat est d’ailleurs l’enjeu majeur de la question comment augmenter les recettes ?

A ce sujet, la TFB (taxe sur le foncier bâti) est la principale recette disposant en plus par rapport aux autres recettes d’une relative flexibilité puisque son taux est voté au niveau communal. Le DOB précise : « les recettes de la ville restent extrêmement dépendantes des produits fiscaux et depuis cette année uniquement de la taxe foncière« .

La TFB est un des seuls leviers pour faire rentrer des recettes, nous y reviendrons.

Contrairement à la douce musique qui revient de manière sempiternelle, les dotations sont quasiment stables depuis 2016.

Enfin, les droits de mutation ne représentent que 10 M€ et incluent des droits de mutation résultants de la vente de bien patrimoniaux de la ville. Ces dernières opérations ne pouvant toutefois pas se reproduire à l’infini (le foncier étant limité) cette recette artificielle biaise ce poste car relève d’actions ponctuelles et de court terme.

Dépenses de fonctionnement

203 Millions d’euros € en 2021

  • Dépense de personnel 111 M€
  • Charges générales 44M€ soit +37% d’augmentation depuis 2016.
  • Subventions et participations 13 M€ (stable)
  • FCCT Est ensemble 31 M€ (stable)
  • Charges financière 3 M€
  • Autres dépenses 1,4M€

Depuis 2016, les dépenses augmentent de 3 % par an soit plus rapidement que les recettes.

Le poste charges générales attire particulièrement l’attention avec 37% d’augmentation.

Les subventions sont constituées comme suit : participation à la BSPP pour 2,6M€ + subventions CCAS 1,8M€ + caisse des écoles 1M€ + associations 5,2 M€..

Le poids de de la dette

La ville rembourse environ 16 M€ par an et a contracté pour environ 15M€ de nouveaux emprunts.

L’encourt de la dette étant de 202 M€ soit 1890 €/habitant et des taux d’intérêt pour 2,8 M€ dont certains taux d’intérêts variables (31% de taux variables qui dans un contexte inflationniste révèle un certain certain risque).

Des marges de manœuvre réduites

Globalement l’écart entre recettes et dépenses a été jusque là constant (environ 20 M€) ce qui, complété d’un emprunt, permet à la ville d’investir entre 30 et 35 M€ / an.

La capacité d’investissement est néanmoins composée à environ 40% par la dette.

Pour fixer un peu les idées, il faut avoir en tête que les investissements en 2021 ont en réalité couverts pour environ 17 M€ (soit la moitié du budget d’investissement) l’entretien récurrent des écoles, bâtiments communaux, espaces publics et voiries, réseaux, etc.

Ainsi la véritable part d’investissement pouvant être consacré à la création d’équipements et au développement de la ville n’est que d’environ 13 M€ par an.

Concernant les recettes, « les marges de manœuvre sont extrêmement réduites et se limitent au seul levier fiscal ». sic DOB (comprendre la TFB).

Les villes sont en effet limitées à voter les tarifs municipaux ainsi que les taxes sur le foncier bâti et non bâti (sachant que cette dernière recette est négligeable avec 200 000 € de recettes par an).

Des orientations budgétaires aux contours flous

Le décor est planté en introduction du chapitre consacré au débat d’orientation : « l’enjeu de la présentation de ce budget 2022 (…) sera de parvenir à conserver et garantir un même niveau de service public (…) l’équation semble difficilement soluble dés 2022« .

S’ensuivent alors une série de notes qui relèvent plus de généralités que d’éléments précis :

« L’éventuelle augmentation des subventions aux associations, CCAS, etc (…) ne peut être envisagée sans économies sur d’autres postes » sans préciser lesquels.

« des choix devront donc être effectués pour accompagner au mieux l’arrivée des nouveaux habitants » sans nous préciser lesquels.

Puis viennent ensuite de périlleuses et incertaines simulations de recettes supplémentaires basées uniquement sur une projection de l’évolution structurelle de taux d’inflation, des taux d’intérêts, des bases fiscales. Une projection donc plus financière que politique ne permettant que de dégager + 2M€.

Concernant les dépenses, le DOB se limite à la seule volonté de « maîtriser les dépenses » sans pour autant apporter plus de précision sur les choix politiques associés.

L’enjeu démographique

Au-delà de ces constats, l’enjeu principal est de faire face à l’évolution de la démographique de la ville accélérée par l’arrivée de nouveaux transports (Tramway, Ligne 11). Désormais, Montreuil compte en effet un peu plus de 111 000 habitants avec la progression la plus forte de l’Ile de France.

La ville devrait compter environ 800 écoliers de plus d’ici à 2026 pour lesquels il va falloir construire des écoles avec une prévision d’au moins 3 écoles d’ici 2028/2030.

Le dynamisme démographique de Montreuil est très important comme en témoigne ces quelques chiffres : 54% des habitants ont emménagé à Montreuil il y a moins de 10 ans, augmentation de 8% depuis 2014 (soit environ 1 142 habitants par an en plus).

Les besoins en équipements publics sont donc toujours croissants.

Mais Montreuil c’est aussi presque 30% de la population qui vit dans un QPV (Quartier Prioritaire de la Ville), et 36% de logements sociaux. Une part importante de la population est donc socialement peu favorisée.

D’où l’importance de maintenir par exemple des tarifications municipales tenant compte de cette réalité.

L’évolution des dépenses risque néanmoins finir par s’avérer plus forte que celle des recettes pour, dés 2026, une réduction prévisible de l’épargne brute de 20 M€ par an à environ 13 M€ par an conduisant irrémédiablement à une incapacité à rembourser l’emprunt et à une mise sous tutelle.

Voilà la réalité économique de la Ville de Montreuil.

Une réalité préoccupante puisqu’il s’agit de tenir tous les enjeux d’une politique communale équilibrée : qualité du service public, développement démographique, entretien des espaces publics et des bâtiments communaux, éducation, etc.

Mon point de vue

Cette réalité économique complexe va nécessiter de faire des choix car la progression des recettes va bientôt être intégralement absorbée par les dépenses.

Il est loin d’être certain que l’augmentation structurelle de l’assiette de la TFB (environ 1,5% par an) suffise à elle seule à répondre aux besoins de recettes supplémentaires.

Rappelons que depuis 2010, les taux votés par le conseil municipal sont certes stables (hors effets de réformes fiscales). Mais ce taux est aujourd’hui à Montreuil de 38,58% (16,29% taux départemental + 22,29% taux communal voté par la ville) est l’un des taux communaux les plus élevés de Seine Saint Denis.

Faute de précision, il est donc bien difficile de présager des choix qui vont être effectués lors du vote du budget municipal.

Le premier choix va sans doute être d’abandonner certaines belles promesses de campagne (formulée pourtant par une équipe déjà en partie en responsabilité sous le précédent mandat, donc censée être au courant de la situation économique de la ville …) comme :

-Le Montreuil 100% cyclable.

-La création d’une maison de la culture urbaine dans l’ancien Méliès.

-La création d’une médiathèque aux Ruffins.

-Une cuisine centrale municipales et bio.

-1 ATSEM par classes

-Création d’une brigade de la vie nocturne et l’embauche de 40 policiers municipaux. A l’appui, le DOB qui précise lui même : Actuellement, les effectifs sont au nombre de 8, la promesse était de 40 mais le DOB précise « la montée en charge de certaines actions ne pourra être que progressive sur la durée du mandat comme le développement de la police municipale ou le recrutement d’ATSEM pour les écoles maternelles ». Rappelons à ce sujet que la police municipale ne compte actuellement que 8 agents pour une ville de 110 000 habitants.

Un autre choix va être sans doute de contredire les promesses de campagne comme celle de la non augmentation de 2020 à 2026 des impôts (comprenez TFB). le DOB précise d’ailleurs Le seul levier disponible porte désormais sur le foncier bâti »

Une façon polie de nous confirmer que les promesses n’engagent que ceux y croient ….

Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, les finances de la ville ne sont pas en meilleure forme, et ce depuis des années.

Et, on aura beau retourner le problème dans tous les sens, les seules marges de manœuvre sont extrêmement étroites : augmentation des recettes via la TFB et/ou réduction des dépenses.

D’ailleurs en terme de dépenses et pour ne citer qu’un exemple, on peut s’interroger sur la nécessité de dépenser plus d’1 million d’euros pour la seule impression du journal municipal (hors frais de conception et de distribution). voir ci dessous l’avis de publication du BOAMP.

La meilleure économie étant d’abord celle qui consiste à ne pas dépenser ou à dépenser utilement, il serait peut être opportun de mettre en cohérence les discours et les actes, notamment en terme de communication. Est ce une nécessité impérieuse de distribuer un journal municipal de 32 pages couleurs à 56 000 exemplaires tous les 15 jours ?

Revenons en aux recettes. Bien que le levier fiscal (la TFB) soit le seul actionnable, augmenter le taux de la TFB serait déraisonnable car il est déjà parmi les plus élevés de la Seine Saint Denis et ne ferait que contribuer à appauvrir encore un peu plus de nombreux Montreuillois.

Cette décision serait aussi mal comprise par les habitants au regard de l’état de saleté de la ville ou de la vétusté des voiries par endroits. En effet, pourquoi payer plus d’impôt alors que le cadre de vie n’est toujours pas à la hauteur ?

Le seule solution économiquement viable pour Montreuil est déjà de changer de paradigme. Pour le dire autrement, Montreuil a besoin de nouveaux contribuables. C’est une réalité qu’il faut savoir exprimer. A défaut, la seule stratégie sera d’essayer de justifier l’état des finances de la ville en reportant sur la responsabilité sur l’Etat. Stratégie peu crédible et qui sur le fond ne résoudra rien à terme.

L’Ile de France est une zone très tendue en matière de logements, l’effort doit donc être collectif. Construire n’est pas non plus synonyme de bétonisation dés lors que le projets sont encadrés pour garantir la qualité environnementale et la qualité d’usage.

A l’heure où se multiplient des projets d’écoquartiers et que la préoccupation écologique est dans tous les esprits, Montreuil devrait s’inscrire dans cette réflexion tout en ayant bien évidement à cœur de conserver la diversité de sa population en mixant réellement les différents types de logements sociaux lors des opérations.

Voilà, j’espère vous avoir ainsi apporté quelques éclaircissements sur la situation financière de Montreuil au delà de la ville idéale qui nous est donnée à voir au travers de tweets d’élus ou d’articles du journal municipal.